1- J.D. Dominique Huybrechts, bonjour et bienvenue sur infos spectacles et loisirs, tout d’abord pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
- D.H. J’ai suivi une formation de violoniste-altiste au Conservatoire royal de musique de Bruxelles et d’historien de l’Art à l’université libre de Bruxelles.
Après avoir passé quelques années en orchestre, notamment au Théâtre royal de la Monnaie, je me suis consacré pendant près de 40 ans à l’enseignement de l’alto et à la recherche musicologique.Comme historien, j’ai publié un ouvrage consacré aux musiciens pendant la Grande Guerre (aux éditions Racine) et une série d’ouvrages sur le quatuor à cordes. Je dirige actuellement un festival de quatuor à cordes à Tournai, en Belgique. J’adore voyager dans les trains de montagne.
2- J.D. Vous venez de publier aux Editions Du Mont-Blanc « Les Alpes et Les Compositeurs », qu’est-ce qui vous a intéressé dans cette association ?
- D.H. Tout a commencé durant la crise covid. Nous étions confinés et empêchés de nous déplacer à l’étranger. Je me suis demandé comment voyager derrière mon bureau ! J’ai alors commencé à reconstituer les itinéraires des compositeurs de la génération romantique qui avaient réalisé un grand tour à travers les Alpes, comme Félix Mendelssohn, Carl Maria von Weber, Robert Schumann, Franz Liszt etc.. J’avais déjà lu quelques travaux à ce sujet, notamment à propos du séjour de Richard Wagner en Suisse.
Le nombre de compositeurs ayant séjourné dans les Alpes n’a cessé de croître et se justifie par les défis de la vie professionnelle, les épreuves de la maladie, les tourments sentimentaux ou simplement pour fuir la guerre. Mais pour la plupart, les Alpes furent avant tout une source d’inspiration.
3- J.D. A quand remonte la première trace de cette inspiration que sont les alpes dans la musique ?
- D.H. Jusque 1790 environ, peu d’oeuvres musicales étaient consacrées aux Alpes. Le plus souvent, les opéras et les ballets se limitaient à des sujets tirés de la mythologie et de la vie campagnarde.
Mais avec la mode naissante du voyage à travers les Alpes, communément appelé « Grand Tour » ou « Kavaliertour » (dans les pays germaniques), certains compositeurs commencèrent à transposer ce type de sujet dans les montagnes. La pastorale de montagne était née (Gluck, Grétry, Cherubini etc…) et l’on vit apparaître des titres d’opéras comme La Bergère des Alpes, Linda de Chamonix, Le Chalet etc…D’autre part, la montagne était un univers redouté et encore peu exploré qui inspira certains compositeurs à écrire des opéras dramatiques dans lesquels évoluaient des personnages exposés à des drames pouvant entraîner la mort, dans des régions où se produisaient des accidents, des éboulements, des avalanches etc… Sous l’emprise des Lumières, l’image stéréotypée de la montagne effrayante et tragique va peu à peu disparaître au profit d’une vision agréable, voire idyllique.
On sait quelle fut l’importance des écrits de Goethe, de Rousseau et de Byron, qui dédramatisèrent les Alpes, et lorsqu’elles furent enfin considérées comme un espace merveilleux, les compositeurs commencèrent à évaluer le potentiel symbolique qu’elles pouvaient leur offrir. Le poème symphonique du milieu du XIXème siècle représente l’aboutissement de se désir de transposer la montagne en musique. Les poèmes symphoniques La Montagne de Franz Liszt et de César Franck sont les plus connus.
4- J.D. Y a-t-il un type d’artistes bien précis ?
- D.H. Peu de musiciens s’étaient jusqu’ici rendus dans les Alpes et cela tenait essentiellement au caractère redouté et inexploré du massif.
Mais les choses changèrent avec la génération des Romantiques et avec ceux que l’on nomme les « musiciens-touristes » de la première moitié du XIXème siècle.Pour prendre un exemple, on connaît parfaitement l’itinéraire réalisé par Félix Mendelssohn durant l’été 1831, une traversée qu’il fit à pied du Léman à la frontière bavaroise et dans des circonstances climatiques désastreuses.
Avec l’expansion du tourisme alpin et le développement des moyens de transport par train dès la deuxième moitié du siècle, d’autres compositeurs commencèrent à explorer les Alpes à la belle saison.
5- J.D. Faut-il absolument découvrir les Alpes pour leur rendre hommage ?
- D.H. Bien sûr que non. Certains compositeurs ont évoqué les Alpes sans jamais y mettre les pieds.
Mais la plupart des compositeurs qui rendent hommage aux montagnes y ont vécus toute l’année, comme Richard Strauss, qui fit construire sa villa
à Garmisch-Partenkirchen, face à la Zugspitze.La Symphonie alpestre de Strauss est probablement l’hommage le plus célèbre d’un artiste consacré à la journée d’un montagnard,
depuis l’aube jusqu’au crépuscule.
On sait aussi à quel point Gustav Mahler et Anton Bruckner ont été influencés par l’univers alpin.
L’emploi des cloches de troupeau ou de la machine à vent dans certaines de leurs symphonies nous le rappelle.
6- J.D. Comment expliquez-vous cet attrait voire cette influence ?
- D.H. Dans mon livre, un des chapitres aborde la vision des Alpes par certains compositeurs -alpinistes. Pour des artistes comme Wagner ou Mahler,
qui adoraient promener en montagne, musique et Alpes étaient complémentaires et leur servaient d’inspiration.Mais pour des compositeurs grimpeurs comme Blanchet, Beck, Sinigaglia ou Zapparoli, cette relation était carrément fusionnelle :
grimper une paroi, ouvrir une nouvelle voie d’escalade revenait à déchiffrer une nouvelle partition, qu’il fallait interpréter le mieux possible,
en prenant soin d’éviter les écueils et en maîtrisant les difficultés.
Je me suis demandé si le stress de l’interprète qui entre en scène était comparable à celui du grimpeur qui s’engage dans un couloir inconnu.
7- J.D. Y a-t-il encore de nos jours de nouvelles compositions ?
- D.H. De nos jours les Alpes sont un peu passées de mode auprès des compositeurs et la plupart du temps c’est presque par hasard que l’on découvre qu’un compositeur a écrit une œuvre lors d’un passage dans les Alpes.
Le sujet de la montagne n’inspire peut-être plus autant les compositeurs d’aujourd’hui qu’à l’époque de leur découverte et des grandes traversées romantiques.
8- J.D. Richement illustré par de nombreuses photos et dessins comment avez-vous fait votre choix ?
- D.H. J’ai parcouru les Alpes pour glaner des photos de lieux visités par les compositeurs évoqués dans le livre.
Nous avons également obtenu des clichés inédits de compositeurs importants du XXème siècle, comme Gustav Mahler, Paul Hindemith,
Benjamin Britten, Richard Strauss ou encore de Bélà Bartók, que l’on aperçoit en montagne dans des postures parfois insolites.
9- J.D. Pour vous c’est aussi l’occasion à travers « Les Alpes et les Compositeurs » d’attirer l’attention sur un patrimoine qu’il faut préserver ?
- D.H. On sait à quel point le réchauffement du climat est en train de transformer la perception et la vision que l’on a de l’univers alpin.
Les villes ont pris du volume alors que les glaciers ont fortement rétréci et que des pans entiers de montagne s’effondrent.Les Alpes sont restées sensiblement les mêmes qu’à l’époque de Gustav Mahler mais elles sont déjà fort différentes de celles qu’ont connus
Félix Mendelssohn ou encore Richard Wagner. D’où l’importance des témoignages musicaux sur les Alpes et des récits historiques des artistes.
10- J.D. En vous remerciant, en un mot, pour vous que représente les Alpes ?
- D.H. Pour moi les Alpes incarnent ma jeunesse, lorsque je prenais le train avec mes parents pour aller contempler une fois par an les sommets enneigés.
Depuis je n’ai cessé de parcourir les Hautes-Alpes françaises, suisses, allemandes et italiennes pour y trouver le calme et l’air pur, comme le firent la centaine de compositeurs évoqués dans mon livre.
Chacun rêve de pouvoir contempler les cimes enneigées au son d’une musique grandiose, ou simplement bercé par la ritournelle paisible des vaches à cloches.
Propos rapporté par Jean Davy, le 6 décembre 2024
pour infospectaclesloisirs
Livre « Les Alpes et Les Compositeurs » aux Editions Du Mont-Blanc