François Royet, interview
- François Royet est un auteur-réalisateur, chef opérateur, monteur et scénariste Français.
Il réalise entre autres plusieurs documentaires dits »sociaux », au plus près de personnes en grande difficulté sociale
Mais aussi depuis toujours, fasciné par la force créatrice des peintres il réalise « Huile sur toile », consacré à l’aventure de Claude Monet.
Au début des années 2000. Commence alors le tournage de ce qui deviendra 16 ans plus tard le film long-métrage « Par-delà les silences »
En conclusion il a une carrière très diversifiée et riche en expériences.
- J.D. Réalisateur du documentaire « Par-delà les silences » que vous consacré à l’artiste Charles Belle, comment l’avez-vous rencontré et qu’est qui vous a intéressé ?
F.R. Est-ce un documentaire ? Je vous pose vraiment la question… Moi, je ne sais pas. Est-ce un portrait de Charles Belle ? Non, je n’ai jamais eu cette intention. Ce qui m’intéresse d’abord, avant tout, ce sont les processus de création. Que se passe t’il lorsqu’un artiste travaille, quel est ce mystère qui échappe même à celui qui crée. Charles est quelqu’un qui produit énormément, qui s’engage très fort et dont les œuvres monumentales offrent à celui qui regarde une matière cinématographique extrêmement riche.
- J.D. Pourquoi l’accompagné durant 16 ans ?
F.R. S’il n’avait pas décidé lui-même que j’avais assez de matière, je tournerais encore aujourd’hui… Je ne pouvais pas m’arrêter en fait. Lorsqu’on cherche autour de ces questions c’est plus qu’un océan, c’est absolument infini.
- J.D. Quelle a été votre place et a-t-elle évolué ?
F.R. Ma place doit être la plus discrète possible, surtout laisser le miracle se produire, ne rien déranger… C’est fragile le réel vous savez. Je voulais que mes spectateurs soient aux premières loges dans le travail de création, presque directement dans la tête du peintre…
- J.D. Pourquoi ce titre « Par-delà les silences » ?
F.R. Le premier titre qui a été posé sur tout ça dès le début de ce projet était : « Dans les silences de l’atelier » Sur la fin du montage, alors que j’avais tenté de sortir de choses trop concrètes, le titre lui-même m’a paru trop concret, j’avais envie d’aller au-delà de cela d’où « Par-delà les silences » qui s’est imposé comme une évidence.
- J.D. Très peu de paroles, quel rapport avez-vous avec le silence ?
F.R. Je ne supporte pas les commentaires sur les films. Pour moi, le cinéma se passe de commentaires, c’est une facilité. Dès que l’on dit quelque chose cela guide aussitôt notre cerveau et ce qu’on lit dans l’image passe alors au second plan… Cela devient de l’illustration. J’attache trop d’importance à l’image pour lui donner juste le rôle d’illustrer. Plus largement, il est important de proposer autre chose que juste ma propre vision de la chose à l’œuvre, je veux partager une expérience, être au plus près de ce qui ce qui se passe réellement, c’est après au montage que je vais organiser ce « réel capturé » pour que l’on puisse y lire la complexité des choses.
- J.D. Portrait très intimiste, comment définissez-vous son œuvre ?
F.R. L’avantage de tourner sur une aussi longue période c’est que l’on va pouvoir révéler des choses qui sont habituellement invisibles.
L’ingrédient du temps dans une vie permet de prendre une certaine distance, une certaine « hauteur de pensée » qui va faire apparaitre
ce qu’est une vie dans l’immensité du monde.
Cela devient très intime car ce que Charles Belle me laisse filmer au fil du temps et des situations n’est autre que sa propre vie de peintre.
16 années cela commence à compter dans une vie, cela passe par des moments difficiles parfois.
Le moment où Charles peint cette grande toile seul dans la forêt, toile qu’il pensait sincèrement être son ultime dessin tellement sa vie était compliquée
et difficile à ce moment-là, toile qu’il voulait laisser se « dissoudre » dans cette nature silencieuse, loin du chaos du monde, cachée, « confié à la forêt »
comme il l’a dit lui-même.
Le temps change tout, cela permet de se poser aussi la question de ce qui reste de l’énergie, de la passion, des œuvres en somme, et ce, bien après la vie même de l’artiste…
Oui c’est intime, extrêmement intime même.
Je mesure à chaque projection le cadeau immense que nous a fait Charles en nous donnant accès à cette intimité-là.
Je suis rassuré aussi, après les incroyables retours des spectateurs lors des projections, parce que je sais que cet « intime » ai rejoint l’universel et ça,
c’est un immense plaisir que de le partager avec une salle entière.
- J.D. Au plus près du processus de création, selon vous, durant toutes ces années, a-t-il changé ?
F.R. Il a évolué certainement. Comment, je ne saurais le dire. Ce n’est pas une progression en tout cas comme l’Art, depuis la nuit des cavernes, ne va pas quelque part. Entre la grotte Chauvet et Picasso en passant par Lascaux peut-on dire que cela à évolué ? C’est différent, certes mais c’est complexe et hasardeux d’en tirer des conclusions certaines.
- J.D. Et qu’est qui vous a le plus surpris ?
F.R. Ce qui m’a le plus surpris c’est à quel point une œuvre est plus que la somme des gestes pour la produire.
Je m’explique ; lorsque l’on regarde une table, si on en avait filmé toutes les étapes, on pourrait dire qu’elle correspond très précisément à la somme des gestes pour la produire.
Une œuvre, ce n’est pas la même chose. Lorsque j’ai filmé le moindre coup de pinceau de cette immense peinture du chou que l’on découvre au début du film, j’ai filmé chacun des gestes qui l’ont construite.
Pourtant, quand j’ai découvert le résultat final, j’ai carrément eu l’impression qu’il y avait une incroyable différence de sensation entre la fabrication et le ressenti final…
Pour moi l’art se trouve là entre le concret de la fabrication : la matière, la toile la couleur et l’aspect abstrait, émotionnel de l’œuvre aboutie.
Lorsque j’ai réalisé cela je me suis dit et bien voilà, si je fais ressentir la même chose à mes spectateurs et bien j’aurai peut-être éclairé un peu de ce qui fait « Art ».
Ensuite, je n’ai eu de cesse, sur chaque œuvre, d’essayer de révéler un peu plus de ce mystère de l’art…
- J.D. Illustré par la très belle musique de Bernard Montrichard… Pouvez-vous nous en parler ?
F.R. (Je modifie la question car aujourd’hui il ne reste plus rien de la musique de David Lynch. Il avait accepté de nous laisser les droits mais lorsque c’est devenu un long métrage nous avons dû l’enlever…).
J’aime beaucoup l’idée de faire converser des arts qui ne passent pas par les mots. La peinture, la musique, le cinéma, donnent des émotions qui sont difficilement explicable par des mots. Décrire en quoi une musique nous émeut c’est difficile, le savons nous nous même ? Il en va de même pour la peinture et le cinéma.
La collaboration avec Bernard Montrichard, avec lequel je travaille depuis très longtemps maintenant, a commencé bien avant la fin du montage de ce film. Je travaillais sur une séquence et je lui envoyais. Il travaillait à son tour et m’envoyait sa musique. Je retouchais mon montage et lui sa musique encore et encore, et, ainsi de suite comme ça nous avons élaboré cette « conversation »… Ce qui était vraiment jouissif c’était de sentir que nous étions bien chacun dans son art au même endroit de sensibilité…
- J.D. En vous remerciant, après 16 ans, comment voyez-vous maintenant l’art ?
F.R. Comme un immense espace des possibles sans aucune barrière ni frontière.
Merci à vous. Vos questions étaient vraiment intéressantes je pourrais vous parler de tout ça pendant des heures…
Propos rapporté par Jean Davy, le 29 10 2024 ,
pour infospectaclesloisirs.
ITW François Royet.