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Interview d'Éric Lebel

À l'ombre de l'abbaye de Clairvaux - Documentaire

Eric Lebel, bonjour et bienvenue sur Infos Spectacles & Loisirs, tout d’abord pouvez-vous vous présentez à nos lecteurs ?

 E.L, Je suis producteur et réalisateur de films documentaire.  J’ai démarré en travaillant sur des films de fiction. Mais, petit à petit, je me suis rendu compte que ce qui m’intéressait le plus était l’exploration du réel, ce qui me correspondait mieux.

 

1 – J.D, Réalisateur du documentaire « A L’ombre de l’Abbaye de Clairvaux » qui vient de sortir au cinéma, qu’est qui vous a amené à vous intéresser à cette prison ?

 

  • E.L, Pour celui qui s’intéresse un peu à l’univers carcéral, Clairvaux est un mot qui résonne, tellement cette Maison Centrale a été au coeur de l’Histoire de la Pénitentiaire.
    J’avais visité Clairvaux et l’abbaye et la Maison Centrale en 2010. Ce projet de film date donc de cette époque. Mais le cours de la vie en a décidé autrement. Mais au sortir du confinement, mes pas m’ont mené à Clairvaux. Et le projet s’est imposé. Surtout après cette période particulière que nous avions vécu. Sachant que la Maison Centrale allait fermer et que rien n’avait été réellement fait sur ce lieu… C’était suffisant pour m’y consacrer pleinement.

 

2 – J.D, Quelle est l’histoire de l’Abbaye de Clairvaux ?

 

  • E.L, L’abbye de Clairvaux, c’est plus de neuf siècle de notre Histoire. Du moment où Bernard de Fontaine – le futur Bernard de Clairvaux – a choisi ce cette petite vallée pour y installer celle qui deviendra l’une des abbayes les plus fameuses d’Europe, Au fil des siècles, elle devenue l’une des plus grandes et des plus riches. Et puis la Révolution est passée par là et les moines ont été chassés. Au début du XIX° siècle Clairvaux a été transformée en prison pour appliquer la nouvelle « privation de liberté pour peine et travail obligatoire ». La maison centrale a fermé en 2023.

 

3 – J.D, Quel a été votre tout premier sentiment quand vous y êtes arrivé la toute 1ère fois ?

 

  • E.L, Le premier sentiment, sans savoir exactement le définir, m’a simplement convaincu qu’il fallait aller au bout d’un tel projet, malgré toutes les embûches qui allaient surgir.

 

4 – J.D, Quel type de détenus accueille-t-elle ?

 

  • E.L, Clairvaux était une Maison Centrale ; donc accueillait exclusivement des longues peines, des personnes condamnées à plus de 10 ans de prison ou jugées particulièrement dangereuses par l’Administration Pénitentiaire.

 

5 – J. D, Comment avez-vous rencontré et collaboré avec Michel et Pierrejean ?

 

  • E.L, J’ai choisi Pierrejean et Michel après de nombreux entretiens avec beaucoup de personnes détenues. Leur sincérité, comment chacun d’eux vivait l’enfermement m’a particulièrement intéressé. Nous avons énormément parlé avant de mettre en route la caméra. Il a fallu les convaincre bien sûr et surtout obtenir une sincère confiance réciproque.

 

6 – J.D, A aucun moment vous n’évoquez le pourquoi de leur incarcération ?

 

  • E.L, C’est une question qui ne m’intéresse pas plus que cela. Bien sûr, je connais leur histoire et ils m’en ont parlé ; mais je n’étais pas venu pour faire quelque chose qui pourrait s’apparenter à du sensationnel. C’’était le présent qui m’intéressait avant tout : comment vivre aussi longtemps dans un milieu totalement clos et hautement sécurisé.
    Par ailleurs l’Administration Pénitentiaire « interdit » par convention, de parler du pourquoi de la peine. J’aurais respecté cela, de toute façon.

 

7 – J.D, Vous donnez également la parole aux autres membres de l’équipe pénitentiaire, leur vision de la prison est-elle la même que celle des détenus selon vous ?

 

  • E.L, Dans une prison, il y a des personnes détenues, mais il y a du personnel pénitentiaire, du personnel extérieur. Ceux-là, pour la plupart, passent la moitié de leur temps à l’intériieur de la prison. On ne peut les exclure si on souhaite comprendre comment fonctionne une prison et quelles sont les relations qui s’y installent.

 

8 – J.D, Comment tourne-t-on en prison ?

 

  • E.L, C’est long, très long et particulièrement en Maison Centrale qui sont des établissements ultra sécurisés. Surtout, on se fait tout petit. Par obligation mais surtout par respect des personnes qui s’y trouvent.

 

9 – J.D. Vous rencontrez des moines de l’ordre cistercien était ce nécessaire pour comprendre Clairvaux et l’emprisonnement ?

 

  • E.L, Je pars du principe que Clairvaux est un tout. Quand l’abbaye est devenue prison, c’était à l’intérieur des murs cisterciens. Et en 1971, la nouvelle prison a été construite toujours dans cette enceinte. C’est un lieu qui transpire la clôture, l’enferment, forcé ou choisi, carcéral ou monacal sur plus de 30 hectares. Dans les deux cas, les moines comme les personnes détenues sont hors du monde tel que nous le vivons. Les moines comme les personnes détenues apportent pour moi une réflexion philosophique sur la liberté quand notre société la pense uniquement à l’aune de la consommation et de l’argent.

 

10 – J.D, Y a-t-il des points communs entre l’enfermement des prisonniers et celui des moines ?

 

  • E.L, Il y en a bien évidemment ; même si d’un côté il y a un choix et pas de l’autre. Les deux « communautés » sont hors du monde et vivent avec des règles bien précises et très contraignantes.
    Mais le film n’est pas là pour essayer de comparer l’une à l’autre mais comprendre ce la liberté veut dire.

 

11 – J.D, Suite à votre tournage votre perception sur la liberté a-t-elle changé ?

 

  • E.L, Peut-être. Je ne sais pas. Mais la transformation de Michel durant ses dix dernières années de détention, à la recherche de sa liberté intérieure, me parle et parle à beaucoup je crois.

 

12 – J.D, Avez-vous gardé contact avec Michel et Pierrejean ?

 

  • E.L, Oui, bien sûr. Je les tiens au courant de la carrière du film. Les deux ont vu le film et Michel est même venu s’exprimer dans le cadre d’un débat. Des liens se créent, inévitablement.
    Nous avons passés des heures et des heures ensemble… Surtout pour Pierrejean, je suis curieux de ce qu’il va devenir.

 

13 – J.D, En vous remerciant, la centrale de Clairvaux a fermé ces portes en 2023, savez-vous ce que ce patrimoine va devenir ?

 

  • E.L, Clairvaux est tellement gigantesque, les bâtiments classés tellement nombreux et couteux en entretien… Un appel à projet a eu lieu. Que je sache, pour l’heure, rien n’a encore été décidé… J’espère que tout ce patrimoine exceptionnel qui inclut maintenant les bâtiments de la Maison Centrale ne sera pas perdu.
    C’est un haut lieu de l’histoire de l’enfermement… Il faudrait que le site garde cette dimension.
    Mais, c’est vrai, ce que deviendra Clairvaux est aujourd’hui une autre histoire.

Propos recueillis par Jean Davy, auprès du réalisateur Eric Lebel, à la suite de la sortie de son documentaire :
À l’ombre de l’abbaye de Clairvaux.
Le 08 octobre 2024, pour infos pour les magazines : spectacles & loisirs et clicinfospectacles.