Aujourd’hui, nous rencontrons Nicolas Cartelet, Interview pour son livre : Sous la Jupe d’Achille.
J.D, Nicolas Cartelet, bonjour et bienvenue sur infos spectacles & loisirs, tout d’abord pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
- N.C, Je suis éditeur et auteur d’essais et de romans. J’ai longtemps étudié l’Antiquité grecque à l’Université, ce qui a donné la matière du texte Sous la jupe d’Achille.
J.D, Vous venez de publier aux Editions La Musardine « Sous la Jupe D’Achille » ou l’homosexualité grecque entre mythe et histoire, qu’est qui vous a intéressé ?
- N.C, J’ai tenté d’expliquer en quoi ont pu consister les rapports homosexuels en Grèce ancienne, car on s’arrête généralement à la proverbiale homosexualité des Grecs sans en comprendre les enjeux et la réalité. Il est passionnant de constater que l’homosexualité a joué, au sein des élites des cités grecques, un rôle social et culturel central, et ce, 2500 ans avant nous.
J.C, Lorsque que l’on évoque l’homosexualité grecque antique on pense obligatoirement « Pédérastie », comment la définissez- vous ?
N.C, La pédérastie avait tout d’un rite de passage vers l’âge adulte. C’était un mode d’enseignement qui mettait en contact un jeune homme sur le point de devenir citoyen (l’éromène) et un citoyen de plein droit (l’éraste), chargé de faire l’éducation du premier. Il s’agissait d’une formation aussi bien intellectuelle que politique, militaire et, bien sûr, amoureuse.
J.D, Sait-on à quand remonte les premiers pédérastes ?
- N.C, Difficile de répondre car on manque de sources écrites avant l’époque classique (Fin du VIe siècle avant J.-C.) La pratique est sans doute née au sein de l’aristocratie grecque pendant l’époque archaïque. Plus tard, elle devient un symbole constitutif de la démocratie athénienne, puisqu’elle est érigée en idéal de la formation des jeunes citoyens.
J.D, Très loin de tous nos fantasmes contemporains, elle devait respecter de nombreuses règles ?
- N.C, Oui, la pédérastie était faite de règles strictes, explicites et implicites.
Il existait un âge convenable pour devenir éromène (sans doute autour de 14 ans,
avec une « consommation » sexuelle plus tardive, une fois le jeune homme formé physiquement) comme pour être éraste (au-delà de 30 ans, cela devenait inconvenant). Le processus de séduction obéissait lui aussi à des règles de bienséance, particulièrement sévères pour l’éromène, qui ne devait manifester ni empressement, ni désir, ni même plaisir physique pendant la relation. Contrevenir à cette multitude de règles pouvait vous attirer le déshonneur.
J.D, Tout le monde pouvait-il prétendre à la pédérastie ?
- N.C, Non, il semble que la pédérastie était pratiquée par une élite aristocratique, cela ne concernait que quelques familles dirigeantes des cités grecques. Les sources sur la pédérastie sont nombreuses mais aussi trompeuses : elles donnent le sentiment que la pédérastie était partout alors qu’elle était sans doute à peu près ignorée de la majorité des Grecs.
J.D, A-t-elle changé à travers les siècles ?
- N.C, Elle a surtout décliné. Pendant l’époque classique, âge d’or des cités grecques et de leur influence en Méditerranée, on voit déjà la pédérastie comme une pratique ancienne, uniquement chérie par l’aristocratie. Plus tard, quand la Macédoine puis Rome conquièrent la Grèce et limitent le pouvoir des cités, l’idéal du citoyen-soldat (idéalement formé par un éraste) s’estompe, et avec lui les sources qui mentionnent la pédérastie.
J.D, Comment était-elle perçue dans la société grecque antique ?
- N.C, Au sein des élites, elle a pu rester longtemps un idéal, d’autant que la pédérastie renvoyait à l’âge d’or où des cités comme Athènes dominaient le monde connu. Le regard que portait le reste de la population sur l’homosexualité, c’est-à-dire l’écrasante majorité des Grecs, est plus difficile à cerner car ce sont les élites qui ont produit les sources auxquelles nous nous référons aujourd’hui. On a tout de même un indice fort chez Aristophane, auteur athénien de théâtre populaire, qui multiplie les blagues grivoises sur les vieux pédérastes incapables de se tenir devant les beaux et jeunes hommes. On peut imaginer que ces scènes provoquaient l’hilarité du public, qui regardait la pédérastie comme une pratique très éloignée de ses mœurs, et sans doute un peu risible.
J.D, Existait-il un pendant féminin ?
- N.C, Le monde grec avait pour principe de cacher ses femmes, enfermées la plupart du temps dans le gynécée. Un tel isolement ne favorisait pas les relations lesbiennes – alors qu’à l’inverse, le fait que les Grecs vivaient essentiellement entre hommes a pu favoriser les rapprochements homosexuels. On a toutefois des témoignages sur certaines cités où les femmes auraient été plus libres qu’ailleurs et auraient pu s’adonner à ces pratiques. Ainsi l’île de Lesbos, patrie de Sappho, traditionnellement dépeinte comme un lieu où l’amour entre femmes était possible – mais cette interprétation est sujette à controverse.
J.D, Y a-t-il des pédérastes célèbres ?
- N.C, On peut citer deux couples incontournables. Dans le mythe, il y a bien sûr Achille et Patrocle, dont l’amour tragique provoque la chute de Troie. Notons que contrairement à ce qu’on imagine aujourd’hui, Achille était l’éromène de Patrocle – il était plus jeune, plus beau, plus fort, ce qui faisait de lui l’éromène idéal, le jeune homme dans la force de l’âge. Dans l’histoire, on pense à Alexandre le Grand et à Hephaïstion, couple mythique qui semble s’être affranchi des règles traditionnelles de la pédérastie, puisque tous deux avaient le même âge.
J.D, Quels textes conseilleriez-vous à nos lecteurs de découvrir ?
- N.C, Le travail indépassable de l’historien Kenneth Dover, publié sous le titre Homosexualité grecque, permet d’embrasser largement le sujet. Pour revenir aux sources antiques, il peut être intéressant de lire ou relire L’Illiade à l’aune de ces réflexions sur la pédérastie, pour voir toute la puissance du deuil amoureux d’Achille.
J.D, En vous remerciant, selon vous la pédérastie a-t-elle perduré et sous quelle forme ?
- N.C, En tant que rite de passage, la pédérastie englobait des réalités très diverses dont on peut retrouver les traces dans tous les rapports de type professeur-élève, même lorsque la relation n’a rien d’amoureuse ni de sexuelle. Prendre quelqu’un sous son aile pour l’aider à devenir une « meilleure personne » au nom du bien commun, cela relève déjà de la philosophie qui sous-tendait la pédérastie grecque.
Propos rapporté par Jean Davy, le 23 10 2024
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Nicolas Cartelet, Interview.