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Rodolphe Massé, le 27 novembre 2025

Interview, pour la sortie du dernier Gaston Lagaffe.

“Employé du siècle” : Gaston Tout savoir sur Gaston Lagaffe Rodolphe Massé (Auteur) - Bande dessinée - Format relié -
Editeur La Martinière Eds De - Parution 17/10/2025

Nous avons le bonheur de rencontrer Monsieur Rodolphe Masséle 27 novembre 2025, pour nous parler de son dernier Gaston Lagaffe, Employé du Siècle et dont la parution s’est effectuée le 17 octobre dernier aux éditions de La Martiniere Eds De. 

1- J.D. Rodolphe Massé, bonjour et bienvenue sur les webzines : infospectaclesloisirs.com et clicinfospectacles.fr. En introduction, pouvez-vous svp vous présenter à nos lecteurs ? 
 

R.M. / Bonjour, eh bien je suis auteur et musicien ! En tant qu’auteur, j’ai écrit pas mal de livres et d’articles sur la bande dessinée, la pop culture, la poésie et la spiritualité aussi… 
  
Je suis aussi scénariste et journaliste ; c’est dans ce cadre que j’ai été amené à rédiger ou diriger des hors-série du Monde sur la bande dessinée sur Franquin, Gotlib, Jean Van Hamme…  
 
Au départ de cet ouvrage, il y a donc mon premier hors-série pour Le Monde, que La Martinière souhaitait rééditer en format « beau livre » : une nouvelle fort réjouissante !  
 
Je l’ai donc revu et enrichi d’une bonne cinquantaine de pages pour en faire un « beau livre » à la Martinière, avec la complicité de mes éditrices.   

 

2- J.D. Vous venez de publier aux Editions de la Martinière « Gaston, employé du siècle », quel a été votre premier souvenir ? Et qu’est qui vous a séduit ? 

 

R.M. / Mon premier souvenir de Gaston ? Pour ma part, c’est ce gag que je n’ai pu m’empêcher de reprendre dans l’ouvrage, dans lequel Gaston avale sans
le vouloir le petit jouet en plastique offert en cadeau dans une boîte de chocolat en poudre. 
 
Il s’étouffe, Fantasio appelle les urgences, on le voit faire les cents pas dans la salle d’attente de l’hôpital… Au bout d’un moment, une infirmière finit par sortir et lui annonce : « C’est un avion, monsieur ! » 

 

Je me souviens encore de mon fou rire devant ce gag, découvert dans un vieux recueil du journal Spirou, je devais avoir 10 ou 11 ans !  

Un peu plus tard, Gaston est revenu dans Spirou, que je lisais chaque semaine, il a même rédigé le numéro spécial très grand format du « Journal de Gaston » en supplément, c’était magique, ce bref retour !  

 

Pour un lecteur de Spirou, Franquin était déjà le maître incontournable de la BD. Autant pour Spirou et Fantasio que pour Gaston, les Idées Noires ou son conte de Noël :  Noël et l’Elaoin, 
* (publié sous forme de mini-récit dans Spirou en décembre 1959, édité en album par Yann Rudler en 1978, réédité en 1982 par Bédérama) 
 


Un conte qui était d’une poésie bien proche d’un Marcel Aymé, comme nombre de contes de Spirou de cette époque, d’ailleurs !
 

Cette poésie de Franquin est aussi rare que son éblouissante virtuosité graphique, dont il n’avait d’ailleurs pas vraiment conscience, en grand modeste
qu’il était !
 

3- J.D. On ne présente plus Gaston Lagaffe, mais qui est-il réellement ? 

 

R.M. / Gaston, c’est votre enfant intérieur et c’est le mien, quand on ne l’étouffe pas, quand on lui laisse toute latitude ou presque. C’est peut-être ce qui le définit le mieux, selon moi, cet enfant intérieur.  

Ce n’est pas Peter Pan, hein, il n’est pas bloqué dans l’enfance, il tombe amoureux de M’oiselle Jeanne, mais il est aussi créatif et libre qu’un enfant et n’est pas prêt à transiger sur sa liberté.  

C’est un faux paresseux : il déteste la contrainte, mais quand il s’agit de ses passions, Gaston est un bourreau de travail !  
C’est un vrai doux, il aime à peu près tout ce qui est vivant, la mouette et le chat dingue, mais aussi les insectes, les petites bestioles…  
En cela, il est très proche de Franquin : son alter-ego, comme Kermit pour Jim Henson ou Monsieur Hulot pour Tati !  

 

4- J.D. Dans l’œuvre d’André Franquin son papa, à quel moment voit-il le jour et quelle place a-t-il ? 

 

R.M. / En 1957, le génial électron libre Yvan Delporte est rédacteur en chef du journal Spirou. Il est déjà très complice avec Franquin ; ils aiment les mêmes BD, dont l’incroyable Pogo de Walt Kelly, qui marque au fer rouge toute cette génération et dont on ne parlera jamais assez…
 
 

Et puis ils ont envie d’une animation dans les pages du journal, un peu disruptive, gentiment provocante et transgressive, surprenante en tout cas.  
Quoi de mieux qu’un héros sans emploi qui n’a juste rien à faire là, dans le journal ? L’animation recèle un tel potentiel qu’elle devient une BD en demi-pages, puis en planches entières… avec le succès que l’on sait. 
 

A l’époque, Franquin anime Spirou et Fantasio depuis plus de 10 ans. Il mène en parallèle Gaston et Spirou, avant de céder Spirou à la fin des années 60. Entre temps, Gaston est devenu une œuvre très personnelle.  

5- J.D. 1ère apparition en 1957 dans le journal de Spirou, a-t-il tout de suite rencontré du succès ? Et comment l’expliquez-vous ? 

 

R.M. / Le succès est arrivé rapidement dans les pages du journal, en effet.  
Mais les premiers albums sont sortis assez timidement, dans un format à l’italienne… avant la série d’albums « classiques ». 
 

Gaston a cartonné parce qu’il ne ressemblait à rien d’autre, parce que la bande était graphiquement géniale et débordait de trouvailles fabuleuses, tout simplement. C’est l’excellence habillée en je m’en foutisme total ! 

  

6- J.D. Comment décririez-vous son univers ? 

 

R.M. / L’univers de Gaston, c’est celui d’une rédaction, celle du journal Spirou, qui ressemble à beaucoup d’entreprises des 30 Glorieuses.  

Gaston y joue le rôle d’un électron libre qui ne fait jamais ce qu’on lui demande, mais force les gens à ralentir, à se reconnecter à leur enfant intérieur…
 
 

Il est un gaffeur au sein d’une rédaction un peu corsetée, pré-68 à son arrivée, mais surtout un rêveur, un inventeur fantaisiste et, n’ayons pas peur des mots, un poète ! 

7- J.D. Dans beaucoup d’aspect il est « toujours en avance sur son temps » diriez-vous qu’il est visionnaire ? Et si oui comment ? 

 

R.M. / C’est l’un des thèmes de Gaston, employé du siècle, n’est-ce pas ? Que j’invite chaleureusement à lire : beau, pas cher, comme dirait
Monsieur Boulier !
 
 

Plus sérieusement, il est pionnier dans une grande variété de domaines, de l’écologie au slow working… en passant par la cuisine moléculaire !  

Gaston nous oblige à traquer nos attitudes rigides, nos préjugés ou notre agressivité, envers les autres ou nous-mêmes… toutes attitudes qui lui sont foncièrement étrangères ! 

 

8- J.D. Vous parlez d’anti-héros, pourquoi ? 

 

R.M. / Gaston est un anti-héros à ses débuts : employé gaffeur, inutile, voire dangereux !  
Au départ, on voit essentiellement ses défauts et son inconséquence. Et puis, en apprenant à le connaître, il révèle toute sa complexité et ses nombreuses qualités. Il force alors la sympathie et même, parfois, l’admiration !  

 

9- J.D.  Selon vous, le Gaston du 1er volume de ses aventures est-il le même que celui du 22evolume ? 

 

R.M. / Oui et non ! Oui, car reste toujours Gaston ! Et non parce qu’il a évolué constamment, dans l’esprit de Franquin et sur la planche, passant du simple héros sans emploi et de l’anti-héros à ce statut d’icône de la BD plutôt en avance sur son temps !
 
 

Graphiquement, il n’a jamais cessé d’évoluer des années 50 aux années 90. Et quand Delaf le reprend, c’est dans le plus grand respect possible de l’œuvre de Franquin, même si on sent l’attachement particulier de Delaf, qu’il évoque dans notre entretien, au style de Franquin qui court de la fin des années 60. Depuis Bravo les brothers !…  Jusqu’au milieu des années 70. Franquin était sans doute à son apogée à cette époque, en effet.  

10- J.D. Qu’est-ce qui unit celui d’André Franquin et celui de Delaf qui a pris le relais ? 

 

R.M. / Delaf a grandi avec Gaston, son idole de toujours ! Sa passion à ce sujet est assez communicative, je trouve, dans ce long entretien très libre, qu’il m’a accordé. On la sent dans le moindre détail de ses dessins : passer 4 ans sur 44 planches, ce n’est pas rien ! C’est le temps qu’il lui aura fallu pour réaliser ce premier Gaston, dans un souci de fidélité optimale à l’œuvre du « maître ».
 
 

Pour le second tome en préparation, je crois qu’il s’accorde davantage de liberté ou simplement de plaisir, car il « tient » maintenant son personnage et son univers, et peut se concentrer sur le dessin en déléguant le scénario à ce mystérieux scénariste dont le nom est encore secret… 

 

11- J.D. Richement illustré, comment avez-vous fait votre choix et y a-t-il des illustrations inédites ? 

 

R.M. / La première édition en format presse « hors-série » du Monde était limitée à 96 pages.  
On avait dû limiter les visuels aux citations de planches et de cases illustrant les articles de ce grand inventaire.
 
 

Le passage au format « beau livre » de 152 pages change tout : j’ai pu ajouter des reproductions d’illustrations emblématiques et géniales en pleine page, voire en double page, qui permettent de laisser le texte respirer, mais aussi de nombreuses illustrations extrêmement rares : 
 
travaux préparatoires, brouillons, crayonnés divers… qui permettent de mesurer les étapes de réalisation d’un dessin et toute l’envergure du travail de Franquin, la virtuosité de son trait généreux et absolument unique.
 
 

Cerise sur le gâteau, Delaf, qui se confie longuement sur sa reprise de Gaston et son amour de Franquin, m’a fait parvenir une dizaine de crayonnés totalement inédits du prochain Gaston, en cours de réalisation. Une belle avant-première ! 

  

12- J.D. En vous remerciant, d’après vous, Gaston Lagaffe que dit-il sur nous et sur notre temps ?

 

R.M. / Ce que Franquin n’avait peut-être pas prémédité, c’est à quel point Gaston était un lanceur d’alerte sur les questions environnementales ou la souffrance au travail, par exemple.
 

Sous couvert d’humour, Gaston force le trait mais nous rappelle sans cesse à l’essentiel : à savoir que la vie vaut d’être vécue quand on laisse suffisamment de place à la poésie, à la fantaisie, à l’humour… et à l’esprit d’enfance. Ce que les algorithmes de l’I.A. ne comprendront
probablement jamais ! 
 

Gaston est une ode à la joie de vivre, un appel à l’émerveillement, au lâcher prise… Les grandes œuvres parlent rarement d’autre chose et le font souvent, à l’image de Franquin, avec une vraie modestie. 

Propos rapportés par Jean Davy, le 28 novembre 2025, pour infospectaclesloisirs.com et pour clicinfospectacles.fr 

 

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